Un choix d’humilité
Homélie de frère Henri-Dominique, Prieur de la Province de France
Chers frères,
Avant même d’avoir reçu votre choix de lectures pour cette messe, je me disais que ce serait bien que cette célébration me donne l’occasion de vous parler de la confiance. Et là, bim, je lis « Mais les âmes des justes sont dans la main de Dieu ; aucun tourment n’a de prise sur eux. » ou encore « ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ». Et j’avais aussi oublié la présence de ce tableau de la divine miséricorde accroché dans cette basilique.
La confiance de l’homme en Dieu, la confiance de Dieu en l’homme pour une vie bien au-delà de ce qui serait imaginable.
S’engager par la profession perpétuelle c’est un sacré pas dans la confiance. Il me semble que c’est une des choses peut-être les plus marquantes dans le geste que vous posez aujourd’hui, surtout dans un monde où on doute de tout : des choses, des autres, et de soi-même ; et dans ce monde, ce manque de confiance est même dans une certaine mesure élevé au rang de valeur.
Il en va bien différemment dans la vie que vous choisissez aujourd’hui. Rien ne peut se bâtir sans la confiance parce qu’il s’agit d’entrer dans une relation d’alliance, avec Dieu, avec votre communauté, avec vos frères et bien sûr avec cet homme que vous êtes et que vous serez. Une relation d’alliance dans laquelle chacun donne tout.
Confiance et alliance
Il y a différents niveaux de confiance : la confiance dans le commerçant qui vous rend la monnaie, habituellement, ça, ça va. Il y a la confiance dans la compétence de l’anesthésiste qui va vous endormir avant une opération à cœur ouvert, ça, c’est quelques crans au dessus. Et vous là, vous êtres dans le niveau encore supérieur, le saut dans le vide complet parce qu’il s’agit de faire confiance pour vivre une vie avec Dieu. Et bien malin celui qui peut annoncer par avance ce que ça veut dire. Il n’y a pas de notion de contrat là dedans, ce n’est pas non plus basé sur la compétence (« je vais y arriver parce que je suis plutôt fort là dedans »… ou encore « Dieu, ouais, je l’ai déjà vu faire, le taux de réussite est globalement acceptable »). Vous ne vous engagez pas seulement pour un style de vie, ou parce que les frères sont plutôt sympas, mais parce que vous avez perçu, discerné, que là, Dieu vous proposait cet engagement réciproque qui sera un chemin de bonheur et de sainteté pour vous. « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera ». En suivant le Christ, vous manifestez que vous voulez aller là où il est. Et vous lui faites confiance, vous mettez votre foi dans sa parole : en le suivant, il y a une place pour vous auprès du Père.
Confiance du Père et du Fils
Cette confiance que vous avez aujourd’hui, elle est fondée sur un vrai acte de foi en l’amour infini de Dieu. Étant l’Amour même il se donne totalement et sans appréhension. Au sein de la Trinité les personnes ne sont pas en train de penser à la meilleure manière de se protéger les uns des autres. « si j’en fais trop je vais me faire avoir ». Non, le Père donne tout au Fils et réciproquement, dans la transparence et la confiance d’un amour sans mesure. « Le Père aime le Fils et il a tout remis dans sa main » nous dit saint Jean.
Et le Père a confié cette mission au Fils de venir assumer notre humanité « en toute chose excepté le péché » et de la restaurer en la faisant entrer dans cette alliance. « Parce qu’il est le Fils et qu’il a vécu dans l’obéissance à son père, il nous a permis, si nous entrons nous-mêmes dans l’obéissance par la foi, de devenir des Fils adoptifs. » Faire de votre vie un chemin consacré à Dieu dans la foi, c’est en faire un chemin qui est comme « au travers » de la Sainte Trinité, une vie par Dieu, en lui.
Entrer vous aussi dans une confiance de Fils bien aimés
Chers frères, la vie que vous choisissez aujourd’hui veut vous donner les moyens d’accueillir cette sagesse si différente de celle des hommes. Il y a quelque chose de fou aux yeux du monde, sans conteste. « Chercher la volonté de Dieu signifie chercher une volonté amie, bienveillante, qui veut notre réalisation, qui désire surtout la libre réponse d’amour à son amour, pour faire de nous des instruments de l’amour divin. » dit l’instruction sur le service de l’autorité et l’obéissance, et elle conclut : « C’est dans cette via amoris que s’épanouit la fleur de l’écoute et de l’obéissance 1 ».
Si en faisant profession aujourd’hui vous acceptez de vous laisser dépasser, c’est en étant actifs dans la recherche de la volonté de Dieu pour que votre volonté et votre amour soit tournés vers lui qui vous a aimé le premier. Cela ne peut bien se faire qu’en gardant le cœur et l’intelligence ouverts dans l’écoute et l’obéissance pour coopérer au mieux. Le Christ a remis son esprit entre les mains du Père, il a voulu accomplir sa volonté en toute chose et il a ainsi ancré de manière nouvelle dans notre humanité cette certitude exprimée dans le psaume 26 « J’en suis sûr, je verrai les bontés du Seigneur sur la terre des vivants ».
Dans le témoignage d’amour du Fils, dans cette Évangile dont vous voulez devenir apôtres, nous recevons cette certitude de la bonté d’un Dieu qui veut notre réalisation, notre bonheur. Et dans ce temps pascal, il est bon d’affirmer avec force que le prix a été déjà payé. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. »
Fruits
Le fruit de cet abandon confiant à la volonté du Père vécu par le Christ que vous prenez pour modèle et le but de toute votre vie telle que vous la choisissez aujourd’hui c’est que vous devenez ses amis pour vivre en sa présence « J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche : habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour admirer le Seigneur dans sa beauté et m’attacher à son temple. » Vous ne faites pas un choix générique, c’est dans la communauté Saint Jean que vous faites ce choix, c’est à la manière de Jean que vous allez « habiter la maison du Seigneur ». Aujourd’hui c’est un choix d’humilité, ce n’est clairement pas pour la gloire qui vient des hommes, mais pour la gloire de Dieu. Dans ce choix vous trouverez une joie nouvelle, purifiée dans le feu des épreuves. Chers frères, l’évangile que vous avez choisi dit « Qui aime sa vie la perd », je vous dit « aimez quand même votre vie », mais aimez-la bien, non pas de manière mondaine comme dirait le pape François. Aimez là comme un don nouveau de Dieu. Aujourd’hui d’une certaine manière, grâce à l’acte un peu fou que vous posez dans la confiance en son amour, Dieu vous redonne votre vie. Mais pour la vivre comme une vie de fils bien-aimés, tournés vers lui dans une alliance qui en fait une vie déjà tournée radicalement vers la vie éternelle.
Nous nous retrouvons ici autour de vous après cette semaine de chapitre provincial pendant laquelle nous avons travaillé sur l’avenir de notre province de France. En vous accueillant ainsi nous voulons manifester notre confiance dans l’appel que le Seigneur adresse à chacun d’entre nous. Sa Parole à travers laquelle il établit une alliance avec nous continue d’être féconde dans nos vies. Dieu vient nous redire qu’il a confiance en nous, et en retour nous lui offrons notre foi, et nous nous offrons dans la foi. Dans cette basilique consacrée à sa mère nous voulons faire notre la parole de foi la plus vraie et la plus profonde qui ait jamais été prononcée : « qu’il me soit fait selon ta parole ». C’est notre prière pour vous qui faites profession perpétuelle aujourd’hui et pour toute notre communauté : que par la foi nos vies soient pleinement établies dans l’Évangile et que nous soyons ainsi témoins de la radicalité de cet amour confiant et miséricordieux de Dieu pour chaque homme.
1. Le service de l’autorité et l’obéissance n°4